Sexualité & société

11/5/2025

a woman wearing a rainbow shirt and denim shorts
a woman wearing a rainbow shirt and denim shorts

Quand l’intime rencontre le collectif

Notre sexualité n’existe jamais seule. Elle est traversée, influencée, parfois même façonnée par la société dans laquelle nous vivons. Les normes, les lois, la culture, la technologie, la politique : tout cela laisse une empreinte sur notre rapport au corps, au désir et au plaisir.
Et inversement, la manière dont nous vivons et pensons la sexualité révèle beaucoup de ce que nous sommes, en tant que société : nos valeurs, nos contradictions, nos évolutions.

En tant que sexothérapeute, je vois chaque jour à quel point la sexualité n’est pas seulement une affaire de pulsion ou de technique, mais bien un reflet du monde social. Comprendre ces liens, c’est déjà commencer à s’en libérer.

Quand la société modèle la sexualité

🌿 Le corps des femmes, un champ de bataille sociale

Si l’on veut comprendre comment la société façonne la sexualité, il faut regarder du côté du corps des femmes.
Depuis des décennies, la question du contrôle de la reproduction est au cœur des luttes féministes : contraception, avortement, éducation sexuelle… autant de conquêtes qui ont ouvert la voie à une sexualité plus libre et choisie.

L’arrivée de la pilule contraceptive dans les années 1960, par exemple, a profondément transformé la vie intime et sociale des femmes. Pour la première fois, elles pouvaient séparer sexualité et maternité, choisir leurs partenaires, planifier leur avenir. Cette révolution a été une porte d’entrée vers l’autonomie : professionnelle, émotionnelle et sexuelle.
Mais ces acquis restent fragiles. L’annulation de l’arrêt Roe v. Wade aux États-Unis en 2022 a montré à quel point le droit à disposer de son corps peut être remis en question du jour au lendemain. Là où le droit recule, la sexualité se vit à nouveau sous la menace : peur de tomber enceinte, honte, insécurité… tout cela pèse sur le désir et sur la liberté d’être.

💬 Les normes culturelles et médiatiques

La société agit aussi par le biais des discours : ce qu’on dit (ou ne dit pas) du sexe, ce qu’on montre, ce qu’on attend.
Les médias, le cinéma, la publicité et les réseaux sociaux construisent des modèles de désir et de corps « acceptables ». Les femmes apprennent très tôt à se voir à travers un regard extérieur, souvent masculin, et à ajuster leur comportement pour correspondre à une norme.

Le résultat ? Une sexualité parfois vécue sous la pression : celle de devoir plaire, être performante, désirable, ou au contraire « ne pas trop en faire ».
Aujourd’hui encore, les réseaux sociaux participent à ce façonnage : la « body positivity » avance, mais la culture de l’image continue d’imposer de nouveaux standards, souvent aussi exigeants que les anciens.

🧠 Le poids des technologies

Les applications de rencontre et la pornographie en ligne ont, elles aussi, transformé notre rapport au sexe.
Jamais nous n’avons eu autant d’accès à des images et à des opportunités de rencontres, mais jamais non plus les attentes n’ont été aussi contradictoires : entre authenticité et performance, liberté et superficialité, connexion et solitude.

Ces outils, en théorie émancipateurs, peuvent aussi renforcer des inégalités : les algorithmes valorisent certains corps, certaines normes de beauté, certains genres. La société numérique prolonge donc les biais de la société réelle… parfois sous une apparence de liberté.

Quand la sexualité parle de la société

📉 La baisse de la fréquence des rapports sexuels : un symptôme social

Depuis quelques années, plusieurs études (notamment américaines et européennes) constatent une baisse notable de l’activité sexuelle, en particulier chez les jeunes adultes.
Les raisons évoquées sont multiples : isolement, stress, précarité, surcharge mentale, hyperconnexion, mais aussi désintérêt face à des modèles de sexualité jugés irréalistes ou oppressifs.

Ce phénomène, parfois appelé sex recession, n’est pas seulement une statistique : il raconte quelque chose de nos sociétés contemporaines. Peut-être que le sexe ne remplit plus le même rôle identitaire ou social qu’avant ; peut-être aussi que les jeunes cherchent une sexualité plus consciente, moins dictée par la performance.

💪 La libération sexuelle : avancée et ambivalence

Les mouvements féministes des années 1960-70 ont ouvert une brèche : parler du plaisir féminin, revendiquer le droit au désir, affirmer que la sexualité ne se résume pas à la reproduction.
Mais la « libération sexuelle » n’a pas supprimé toutes les contraintes : elle a parfois déplacé les injonctions. Aujourd’hui, les femmes se sentent libres de désirer mais aussi sommées d’être « libérées ».

Entre liberté choisie et pression à la liberté, la frontière est fine. Le féminisme moderne cherche à reconstruire cette notion : non pas la liberté d’être « sexy », mais celle d’être soi, d’explorer, de dire non, de redéfinir le plaisir sans se conformer à un modèle extérieur.

💞 Les transformations du couple et des relations

La sexualité reflète aussi l’évolution des modèles amoureux : couples plus tardifs, unions non-monogames, asexualité, polyamour, célibat choisi… Ces formes multiples interrogent les normes traditionnelles et montrent que la sexualité est en constante adaptation.
Elles révèlent aussi une quête de sens : les individus cherchent à vivre une sexualité alignée avec leurs valeurs, pas seulement dictée par les habitudes ou les conventions.

Pourquoi questionner ces liens ?

Comprendre comment la société influence la sexualité, et inversement, c’est s’offrir la possibilité de choisir sa propre façon de vivre le plaisir.
Beaucoup de nos blocages ou de nos insécurités trouvent racine dans des messages intériorisés : ce que l’on nous a appris à désirer, à craindre, à taire.

Se déconstruire, c’est un travail de conscience. C’est apprendre à reconnaître les normes invisibles :

  • celles qui disent ce qu’est une « bonne sexualité » ;

  • celles qui définissent la féminité, la virilité ou le couple idéal ;

  • celles qui hiérarchisent les corps et les pratiques.

C’est aussi un acte profondément politique. Car chaque personne qui se réapproprie sa sexualité, hors des injonctions, des attentes, des tabous, participe à une transformation collective.

Vers une sexualité plus libre, inclusive et consciente

Le féminisme et la sexothérapie se rejoignent sur un point essentiel : l’émancipation.
Une sexualité épanouie n’est pas une sexualité parfaite ou performante, mais une sexualité choisie. Une sexualité où chacun·e a le droit d’explorer, de douter, de ne pas savoir, de désirer différemment.

Ici, sur ce blog, nous parlerons de ces sujets sans filtre, sans tabou, avec bienveillance et curiosité.
Nous explorerons les influences culturelles (films, musiques, arts, réseaux), les questions de genre et d’égalité, la place du plaisir, les effets de la technologie, les enjeux du corps et du consentement.

Parce que parler de sexualité, c’est aussi parler de société.
Et peut-être qu’en comprenant mieux ces liens, nous apprendrons à nous libérer un peu plus, individuellement et collectivement.

💬 En conclusion

La sexualité n’est pas qu’une affaire intime : elle est politique, culturelle, sociale.
Elle évolue avec le monde, et le monde change avec elle.
Interroger ces allers-retours, c’est poser un regard lucide et doux sur notre humanité : sur ce que nous désirons, ce que nous craignons, ce que nous voulons devenir.

Et c’est peut-être ça, au fond, la vraie révolution sexuelle : oser se réapproprier son plaisir dans un monde qui, trop souvent, nous dit encore comment le vivre.